30.03.2025

Un équilibre fragile

Carla Juaçaba a conçu une chapelle pour la Biennale d'architecture 2017 de Venise. (Photo : Carla Juaçaba)


La chapelle immatérielle

Lieux de silence et de recueillement, les chapelles du parc enchanteur de l’île de San Giorgio Maggiore ont attiré le public lors de la Biennale d’architecture de Venise de l’année dernière. Pour la première fois, le Vatican a demandé à dix bureaux d’architectes de renom de mettre en œuvre leur vision d’une chapelle comme lieu de réflexion et de rencontre. Le projet le plus extraordinaire est celui de l’architecte brésilienne Carla Juaçaba, peu connue.

Connue jusqu’à présent en Europe uniquement par les initiés, cette jeune architecte de Rio de Janeiro est l’une des protagonistes les plus intéressantes de la nouvelle génération d’architectes brésiliens. Avec le “Humanidade Pavilion”, une immense structure en treillis d’une simplicité radicale destinée aux manifestations accompagnant la conférence des Nations unies à Rio en 2012, Carla Juaçaba a créé un chef-d’œuvre d’architecture temporaire qui a rencontré un grand écho international. La mégastructure de 170 mètres de long et 20 mètres de haut, composée d’un système d’échafaudage avec des rampes et des conteneurs suspendus “en suspension”, est apparue comme une réalisation des utopies de Yona Friedman. La structure ouverte, à la fois puissante et perméable, conçue avec la réalisatrice Bia Lessa, a servi de lieu de rencontre et de manifestation sur la plage de Copacabana. Pendant les dix jours de son ouverture, 200.000 visiteurs ont déambulé sur les rampes, participé à des débats, visité des expositions et assisté à des conférences, se sont rencontrés au café, ont profité de la vue sur les plages, la ville, la mer depuis la plateforme du toit.

Rio et les collines environnantes sont le lieu de travail de Carla Juaçaba. C’est ici qu’elle travaille depuis 2000 dans son propre bureau, qu’elle conçoit des espaces d’exposition et qu’elle dessine une série de maisons individuelles exceptionnelles, à la fois rigoureuses et peu coûteuses. Elle se concentre également sur des projets et des études concernant des espaces publics et des utilisations culturelles. Tous ses projets tiennent compte du contexte et associent des concepts constructifs sophistiqués à un choix de matériaux volontairement réduit. Les travaux de Juaçaba se caractérisent par la clarté de la construction, la réduction à l’essentiel et une architecture expressive qui offre des espaces de liberté dans l’utilisation.

Sa contribution pour les “chapelles du Vatican” sur l’île de San Giorgio Maggiore dans la lagune de Venise illustre de manière fascinante cette activation de l’espace. Contrairement aux chapelles en grande partie massives et introverties des autres bureaux d’architectes participants, dont les enveloppes de bâtiment coupent pour ainsi dire l’espace sacré de l’environnement, Carla Juaçaba insère entre les arbres une installation fine et en apesanteur faite de lignes réfléchissantes. Quatre poutres étroites en acier, montées en deux croix – l’une couchée, l’autre debout – créent, avec un minimum de matériel, un espace vibrant en plein air, une atmosphère immédiatement contemplative avec peu de moyens.

Sur les photos, la croix peut sembler être un symbole trop évident et frappant. Mais l’architecte a conféré à son projet une complexité fascinante, qui se révèle sur place par sa propre perception. Cela tient d’une part à la construction raffinée : les deux croix, composées de tubes en acier inoxydable de huit mètres de long et de seulement 12 x 12 centimètres, partiellement renforcés à l’intérieur, sont reliées entre elles de manière dynamique. La poutre en acier continue se plie vers le haut d’un côté et se transforme en croix grâce à une barre transversale ; une deuxième barre transversale à l’autre extrémité sert de banc. La structure, qui rayonne largement dans l’espace, repose de manière équilibrée sur des traverses en béton. Elle invite à s’attarder et crée immédiatement et de manière presque ludique une métaphore de la fragilité – de notre monde ? de notre foi ? de notre vie ? de notre vie ? de notre vie.


Temporaire, démontable - mais elle reste

Toutes les photos : Federico Cairoli

En effet, même si l’on s’assoit prudemment sur la poutre du banc, la croix en face se met à vibrer. D’autre part, les lignes étroites se dissolvent complètement sous certains angles, les surfaces en acier inoxydable poli miroir reflètent le décor des arbres, disparaissent ainsi devant cet arrière-plan ou se fondent dans les reflets sur la surface de l’eau de la lagune. Il en résulte un espace immatériel, sans limite, sans sol, sans toit, sans mur. Et pourtant, on pourrait imaginer une coupole d’église imaginaire entre les cimes des arbres. Ainsi, Carla Juaçaba ne conçoit pas le projet comme une sculpture, mais comme une architecture qui crée l’espace pour des événements et qui, en même temps, permet des interprétations personnelles grâce à sa réduction formelle. D’abord prévue comme temporaire et démontable, la chapelle de Juaçaba continuera heureusement d’être visible à Venise.

Ce portrait est paru dans B2/2019 “Espaces modernes de l’âme”.

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