Comme une oasis en forme de ligne, elle doit s’étendre à travers le désert d’Arabie saoudite : “The Line” est la première étape d’un projet de développement futuriste appelé “NEOM”. Mais cette ville en bande, planifiée de manière utopique, a déjà fait ses premières victimes.
Article promotionnel Parallax Article
Le pétrole a fait la fortune du jour au lendemain
“La ville contemporaine a besoin d’une refonte complète”, dit la voix off. “Et si nous supprimions les voitures ? Et si nous nous débarrassions des routes ? Et si nous construisions autour de la nature plutôt que par-dessus ?”, poursuit la vidéo d’annonce de “The Line”, récemment publiée. La solution proposée à ces questions et à d’autres soulevées dans la vidéo est justement ce que le nom promet : une ville en bande.
Pas de voitures, pas de routes, pas d’émissions de carbone. Logement, nature, supermarché, lieu de travail – tout est accessible à pied en cinq minutes. Tels sont les points de repère visionnaires d’une future ville d’un million d’habitants baptisée “The Line”. C’est le prince héritier Mohammed bin Salman, qui gouverne de facto le pays, qui l’a présentée. Fidèle à son nom, la ville doit s’étendre sur 170 kilomètres comme une ligne droite à travers la province de Tabuk au nord-ouest de l’Arabie saoudite.
The Line devrait coûter jusqu’à 200 milliards de dollars américains. La ville fait partie d’un projet de développement appelé “NEOM”, pour lequel 500 milliards de dollars au total doivent être investis. Neom devrait un jour s’étendre sur une surface de 26 500 kilomètres carrés. A titre de comparaison, l’ensemble du Mecklembourg-Poméranie occidentale s’étend sur un peu plus de 23 000 kilomètres carrés. La zone urbaine de Berlin tiendrait presque 30 fois dans Neon.
Il s’agit d’un projet gigantesque à bien des égards, et pas seulement sur le plan financier et géographique. L’Arabie saoudite veut et doit réussir à se détourner du pétrole si elle ne veut pas se laisser distancer à l’avenir sur le plan économique.
Lorsque l’or noir a jailli pour la première fois du sol désertique de la péninsule arabique à la fin des années 1930, l’Arabie saoudite est passée du jour au lendemain de l’un des pays les plus pauvres du monde à l’un des plus riches. Les revenus du pétrole ont permis au pays de constituer un énorme fonds public. Celui-ci pèse aujourd’hui près d’un demi-milliard de dollars et devrait plus que doubler dans les années à venir. Cet argent doit désormais servir à hisser l’économie saoudienne sur des bases non pétrolières.
On regarde avec un peu d’envie Dubaï. La ville voisine de l’est a également été créée à partir d’un sol désertique peu propice, s’est enrichie grâce au pétrole et est en train de transformer avec succès ses revenus économiques. Même si certains considèrent la ville comme un étalage sans substance d’une richesse financière obscène, Dubaï a réussi à faire ce que l’Arabie saoudite aimerait faire : elle est devenue un pôle d’attraction pour les touristes et elle attire des investisseurs étrangers qui apportent des devises supplémentaires aux Émirats arabes unis.
The Line, un concept urbain d’avenir
The Line donc, une ville à l’intérieur de Neom, comme une ligne sans centre-ville, composée de “city modules” alignés les uns à côté des autres, à l’intérieur desquels tous les besoins de la vie quotidienne peuvent être satisfaits par un trajet à pied de cinq minutes maximum depuis le domicile. La circulation en surface se limite aux piétons* et aux cyclistes*, tandis qu’un train souterrain à grande vitesse doit permettre de parcourir les 170 kilomètres séparant les extrémités de la ville en 20 minutes. Un métro pour les distances plus courtes et une solution de transport pour le fret seront également construits sous terre. L’objectif est d’économiser 30 % des coûts d’infrastructure d’une ville traditionnelle et de couvrir 100 % des besoins énergétiques de la ville à partir de sources renouvelables. L’intelligence artificielle doit observer le comportement des citoyens dans la ville et améliorer la qualité de vie grâce à la modélisation prédictive et aux données.
La ville en bande : un concept d'urbanisme peu réussi jusqu'à présent
Parmi les visions d’avenir un peu plus lointaines, on trouve probablement des drones taxis, des robots serviteurs, des plages de sable phosphorescentes, un parc avec des dinosaures robotisés, une lune artificielle qui se lèverait chaque nuit au-dessus de la ville ou même des installations médicales qui utiliseraient le génie génétique pour “rendre l’homme plus fort”.
Le concept de la ville en bande n’est pas une innovation révolutionnaire. Il est attribué à l’Espagnol Arturio Soria y Mata, qui a tenté de remédier aux problèmes posés par l’industrialisation et le développement urbain précipité qui s’en est suivi à la fin du 19e siècle. Comme pour les concepts de cités-jardins apparus en Angleterre à la même époque, il s’agissait de promouvoir la qualité de l’habitat en réduisant les trajets pendulaires, en facilitant l’accès aux services et en rendant les zones de loisirs rapidement accessibles.
Il n’existe cependant que peu de cités en bande effectivement réalisées. Le concept a par exemple été partiellement mis en œuvre à Volgograd et Magnitogorsk par l’urbaniste russe Nikolai Alexandrowitsch Miljutin. Brasília, la capitale du Brésil fondée en 1960, a également été conçue comme une ville en bande. Cependant, l’augmentation progressive des prix de la bande a entraîné la création de nombreuses villes satellites autour de la zone centrale.
Jusqu’à présent, aucune ville de bande n’a été planifiée à une échelle aussi grande et de manière aussi cohérente que The Line. On peut également s’attendre à ce que le développement urbain soit mis en œuvre de manière plus rigoureuse dans une monarchie comme l’Arabie saoudite qu’il ne le serait dans une démocratie.
Zone spéciale juridique et sociale Neom
Neom doit agir indépendamment de la législation-cadre de l’État saoudien, pouvoir édicter ses propres lois fiscales et disposer d’un système judiciaire autonome. L’administration spéciale devrait même garantir, entre autres, que les habitants de The Linke puissent vendre et consommer de l’alcool – une concession à un style de vie plutôt occidental des investisseurs* attendus dans cette monarchie par ailleurs strictement orientée vers une interprétation conservatrice et wahabiste de l’islam.
Le projet n'a pas que des bons côtés
On remarque également que dans les vidéos de présentation, les femmes sont souvent représentées d’une manière inhabituelle pour l’Arabie saoudite. Elles font du sport habillées à l’occidentale et nombre d’entre elles ne portent pas de voile, alors qu’elles travaillent côte à côte avec des hommes, apparemment sur un pied d’égalité. Si Neom devait répondre aux exigences présentées, il s’agirait d’un changement massif de la manière dont les femmes vivent dans un pays, , où elles sont soumises à des règles vestimentaires en public ou ne peuvent pas effectuer d’actes juridiques sans l’accord d’un tuteur masculin.
Malgré cette vision étincelante, le projet fait également l’objet de critiques. Jusqu’à 20 000 personnes, membres de la tribu bédouine des Howeitat, vivent actuellement dans la future zone urbaine de The Line et doivent quitter leur foyer. Ceux d’entre eux qui font obstruction ne peuvent pas espérer un long procès, comme le montre l’exemple d’Abdul Rahman al-Hwaiti. Ce paysan, dont le village natal d’Al-Khuraybah fait obstacle aux plans de The Line, a refusé d’abandonner son terrain et a été abattu peu après par les forces spéciales saoudiennes.
Ou encore Alya al-Hwaiti. Selon un article du Spiegel, cette activiste saoudienne est menacée de mort dans son exil londonien depuis qu’elle a publié des articles critiques sur le projet Neom. Elle soupçonne l’origine des menaces de l’entourage du prince héritier bin Salman. A Londres, elle pourrait subir le même sort que Jamal Khashoggi. Ce dernier – journaliste et l’un des critiques les plus en vue du prince héritier – a été assassiné en 2018 au cours d’une opération apparemment ordonnée par le prince héritier en personne dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul.
Neom et The Line – plein de visions, peu de concret
Neom déborde de visions ambitieuses et peut-être qu’une partie de ces visions reste en suspens. Ce ne serait pas inhabituel si l’on considère qu’il y a toujours eu des projets de mégapoles en Arabie saoudite. Dans un passé récent, il s’agissait de plans pour pas moins de six villes, dont seule la King Abdullah Economic City est actuellement en cours de réalisation.
La dimension sociale qu’aurait Neom dans sa planification actuelle grâce à la zone juridique spéciale serait d’une grande importance. En s’éloignant du système juridique conservateur de la charia, le projet pourrait servir d’exemple pour le renforcement des droits de l’homme dans le pays, qui souffrent encore aujourd’hui de graves problèmes.
Du côté saoudien, il n’y a pas encore d’indications sur la manière exacte dont The Line deviendra si durable, efficace et respectueuse de l’environnement. D’ailleurs, les informations concrètes manquent à chaque coin de rue. On ne sait pas non plus si le transport urbain peut réellement devenir plus durable et si les temps de transfert peuvent être plus courts lorsque les trajets dans une ville de 170 kilomètres sont éventuellement plus longs. Il est toutefois difficile d’accepter qu’une ville dont l’image vidéo affirme qu’elle ne doit pas être construite au-dessus de la nature, mais autour d’elle, fasse exactement le contraire dans sa conception extérieure et s’étire comme une ligne à travers le paysage, en dépit des conditions géologiques qui se mettent en travers de son chemin pendant les 170 kilomètres (entre autres une montagne entière).
Ce serait bien qu’il y ait aussi beaucoup de bien dans The Line et dans le projet Neom. Du bien pour l’environnement et du bien pour l’homme. Le potentiel et l’argent sont là. Il y a aussi une vision. Mais les expulsions d’autochtones* ne correspondent clairement pas à l’ambition affichée par le prince héritier lui-même d’une “révolution civilisationnelle qui place l’homme au premier plan”.