03.03.2025

Musée

Restitution au Lenbachhaus

La maison Lenbach à Munich
Photo : Florian Holzherr

Le 20 juin 2024, le Lenbachhaus et le service culturel de Munich ont restitué un tableau de l’ancienne collection de Jacques Goudstikker (1879-1940). Cette restitution a été précédée d’une recherche proactive de la part du musée. Le tableau représente un portrait du maître de la cour de Freising, Achaz Busch, datant de 1532 et peint par Hans Schöpfer l’Ancien (vers 1505-1566).

Jacques Goudstikker, droits d'image : Marei von Saher
Le marchand et collectionneur d'art néerlandais Jacques Goudstikker a dû abandonner sa précieuse collection en fuyant les nazis aux Pays-Bas. Droits d'image : Marei von Saher

Dans le cadre d’une recherche proactive dans ses collections, le Lenbachhaus de Munich a découvert que le tableau “Achaz Busch” de Hans Schöpfer l’Ancien appartenait à l’origine au marchand d’art néerlandais Jacques Goudstikker, qui était de confession juive. L’œuvre a pu être restituée en juin à son unique héritière, Marei von Saher. Le conseiller culturel de la ville de Munich, Anton Biebl, a souligné : “Une culture de la mémoire efficace mise sur un lien entre le passé, le présent et l’avenir. La recherche de provenance et la restitution de biens culturels contribuent à la mise à jour de l’histoire et restituent aux gens une partie de leur passé. C’est pourquoi il est absolument juste que la capitale du Land de Munich ait décidé de restituer le tableau “Achaz Busch” à la descendante de la famille Goudstikker”.
Jacques Goudstikker était issu d’une famille de marchands d’art. Son grand-père Jacob faisait déjà du commerce d’art et tenait, avec son frère Simon, une boutique d’art qu’ils avaient fondée à Amsterdam en 1845. Le magasin d’art, qui se trouvait au 458 Herengracht, vendait au départ surtout des meubles et des objets d’artisanat. Eduard Goudstikker, le fils de Jacob et père de Jacques, oriente ensuite le commerce vers l’art pictural néerlandais et flamand du 17e siècle à partir de 1890. Jacques a étudié l’histoire de l’art à Leyde et à Utrecht et a repris le commerce d’art de son père en 1919. Il a ensuite élargi l’offre de l’entreprise à d’autres époques. Le magasin d’art s’est développé avec succès et Goudstikker peut être considéré comme l’un des plus importants marchands d’art de son temps aux Pays-Bas.
Après l’attaque des Pays-Bas par les nazis et la capitulation du pays qui s’ensuivit le 15 mai 1940, il décida de s’enfuir avec sa femme Désirée, dite Dési, et leur fils Eduard âgé d’un an. Ils embarquèrent à bord du SS Bodengraven, qui devait les conduire des Pays-Bas vers l’Angleterre, profitant de l’une des dernières traversées possibles depuis Amsterdam. Il laissa sa collection d’environ 1400 œuvres d’art à ses employés. Il avait consigné la majeure partie de sa collection et des œuvres de son magasin d’art dans un carnet appelé “Black Notebook”. Lors de la traversée vers l’Angleterre, Goudstikker a été victime d’un accident mortel en tombant de nuit sur le pont par une écoutille ouverte. Le petit carnet noir à anneaux en cuir avec un registre dactylographié, que sa femme Dési Goudstikker a pris en charge après l’accident mortel de Goudstikker, a servi de source principale après 1945 pour reconstituer et restituer la collection. Sous la menace de la déportation et contre la volonté de la veuve Goudstikker, les nationaux-socialistes ont contraint les collaborateurs restés sur place et la mère de Jacques Goudstikker, Emily Goudstikker-Sellisberger, à vendre le magasin d’art avec environ 1400 tableaux et tous les autres biens matériels. Le magasin d’art d’Amsterdam a été repris par le maréchal allemand Hermann Göring et le banquier et spéculateur Alois Miedl, qui l’ont ainsi “aryanisé”. Les 2,55 millions de florins versés à cette occasion étaient bien inférieurs à la valeur commerciale réelle. Hermann Göring reprit une partie des tableaux pour sa collection. L'”aryanisation” servit en premier lieu à dérober et à revendre les œuvres d’art de la collection et du magasin d’art.

Tableau de Hans Schöpfer d. Ä., représentant Achaz Busch. L'œuvre a été peinte en 1532 et a été restituée aux héritiers par le Lenbachhaus. Photo : Lenbachhaus
Le Lenbachhaus a restitué l'œuvre de Hans Schöpfer l'Ancien à Marei von Saher. Photo : Lenbachhaus

Une longue lutte pour la restitution

Dans le “Black Notebook”, le “Mansportret” de Hans Schöpfer l’Ancien est répertorié sous le numéro 1228. Le tableau datant de 1532 appartenait au début du 16ème siècle au “Münchner herzogliche Kunstkammer” et a été acheté dans les années 1920 dans le commerce d’art berlinois de Jacques Goudstikker. Alois Miedl, le directeur du magasin d’art “aryanisé”, l’a vendu à l’intermédiaire Wilhelm Heinrich. Celui-ci a livré le tableau en mars 1941 à la maison de vente aux enchères Heinrich Hahn à Francfort-sur-le-Main. C’est là qu’un historien de l’art de Francfort l’a acheté pour le compte de Konrad Schießl, directeur des musées municipaux de Munich. Le même mois, le tableau a été ajouté à l’inventaire de la collection de la Städtische Galerie im Lenbachhaus.
Après la Seconde Guerre mondiale, sa veuve, Désirée Goudstikker, a entamé une procédure judiciaire contre les Pays-Bas. Le litige s’est soldé par un accord. De nombreuses œuvres d’art restèrent illégalement en possession d’institutions et de musées internationaux. Au début des années 1990, les héritiers de la famille erneit ont revendiqué la restitution de leurs biens. Des négociations de longue haleine et une recommandation de la commission néerlandaise de restitution ont abouti à la restitution de plus de 200 œuvres. Certaines œuvres ont également été restituées par la suite.
La collection de Jacques Goudstikker n’a cessé d’occuper les chercheurs et a fait l’objet de plusieurs projets de recherche. Le dernier en date est le projet de recherche Goudstikker Art Research Project, qui s’est déroulé de 2019 à 2022. Les tâches de ce projet de recherche consistaient à reconstituer l’inventaire de la collection Goudstikker pillée en mai 1940 en ce qui concerne les 850 tableaux disparus à ce jour. D’autre part, il s’agissait de retracer le parcours des tableaux disparus depuis mai 1940, dans le but de les identifier et de les localiser.
L’héritière Marei von Saher s’est dite heureuse de retrouver une œuvre de ses ancêtres : “C’est encourageant de voir que le Lenbachhaus fait ce qu’il faut pour les victimes des nazis et leurs familles. Je suis très reconnaissante au Lenbachhaus de restituer le tableau de Schöpfer à la famille de Jacques Goudstikker”.

Pour en savoir plus sur le thème de la restitution et de la recherche de provenance, cliquez ici.

Scroll to Top