La beauté est dans l’œil de celui qui regarde. Mais qui a dit que les observateurs devaient être humains ? Le projet artistique d’Alexandra Daisy Ginsberg, “Pollinator Pathmaker”, est destiné aux sens des abeilles, des papillons et autres insectes pollinisateurs de plantes.
1ère édition de Pollinator-Pathmaker-LAS, commandée par la LAS Art Foundation, pousse de juin 2023 à novembre 2026 sur l'esplanade du Museum für Naturkunde de Berlin. Vue de l'installation. Photo : Frank Sperling
L'action artistique Pollinator Pathmaker ne s'adresse pas à l'homme
Ginsberg et son équipe ont transformé l’esplanade du Musée d’histoire naturelle de Berlin en un jardin fleuri. Là où autrefois de rares pelouses entrecoupées de sentiers longeaient la bruyante Invalidenstrasse, des bourdons virevoltent désormais tranquillement de fleur en fleur. Environ 7 000 plantes de 80 espèces différentes poussent ici sur 722 mètres carrés. La sauge décorative est de la partie, tout comme l’œillet de Bach avec ses délicates fleurs pendantes de couleur rouille et vieux rose ou la chicorée sauvage d’un bleu éclatant qui, outre les bourdons à tête courte et longue, attire toute une série d’autres insectes.
Ce projet est le premier de cette série sur le sol allemand. Le partenaire de coopération est la LAS Art Foundation Berlin, une institution artistique d’utilité publique et une plate-forme pour l’art, la science et les nouvelles technologies. Auparavant, l’artiste britannique avait créé des jardins en Cornouailles (Eden Project) ainsi que pour les Serpentine Galleries de Londres.
Même si l’action artistique Pollinator Pathmaker ne s’adresse pas à l’homme, celui-ci y trouvera également son compte sur le plan esthétique. Le jardin durera trois ans et changera constamment de visage au fil des saisons.
Campagne Do it yourself : avec IA pour les animaux à encoches
Le projet ne se limite pas au musée d’histoire naturelle. Tous les Berlinois* sont invités à créer leurs propres jardins pour les insectes pollinisateurs. Le site web pollinator.art aide les personnes intéressées en leur fournissant des plans de plantation gratuits. Pour ce faire, Ginsberg a établi, en collaboration avec LAS et une équipe d’experts dirigée par le Museum für Naturkunde de Berlin, une liste de 150 plantes d’Europe continentale qui résistent aux étés chauds ainsi qu’aux hivers glacials.
Un outil basé sur un algorithme conçoit des paysages floraux de quinze mètres sur quinze au maximum et les adapte aux besoins des insectes. Tout à fait dans l’esprit de la question directrice : “Si les insectes pollinisateurs concevaient des jardins, que verraient les humains ? La beauté vue par les insectes – une perspective différente qui donne des ailes.
A travers les yeux des insectes : de nouvelles facettes de la perception
Avec leurs yeux à facettes, les insectes n’enregistrent pas les mêmes zones du spectre des couleurs que les humains. Certaines espèces d’insectes reconnaissent sur les pétales des fleurs des marques invisibles à l’œil humain, qui les attirent à l’intérieur de la fleur. Cette invitation au nectar et à la pollinisation, de nombreuses espèces végétales l’adressent à des espèces d’insectes bien précises. Le résultat d’une longue co-évolution, dont Ginsberg, architecte et designer de formation, se réjouit. “Avec Pollinator Pathmaker, il s’agit d’empathie pour les autres espèces”, explique Ginsberg pour expliquer son approche postanthropocentrique. Avec son projet, l’artiste souhaite changer la conscience de la manière dont nous voyons les jardins et pour qui nous les créons.
C’est d’ailleurs une nécessité urgente : En Allemagne, les populations d’insectes volants ont diminué de 75 pour cent au cours des 30 dernières années. Il est donc d’autant plus important de protéger les au moins 3 000 espèces restantes, dont 565 espèces d’abeilles indigènes et 433 espèces différentes de syrphes. À cela s’ajoute un nombre inconnu de mouches, de moustiques, de papillons, de guêpes et de coléoptères, qui contribuent de manière décisive à la croissance et à la prospérité des plantes dans nos jardins et nos paysages.
Un algorithme pour une diversité maximale de pollinisateurs
Sur pollinator.art, les utilisateurs* doivent simplement entrer des informations sur l’emplacement, la taille, la consistance et le pH de la terre, les conditions d’éclairage, etc. Les plans de plantation générés sont ensuite optimisés de manière à favoriser la plus grande diversité possible d’espèces de pollinisateurs. En jouant avec l’algorithme, les jardiniers* en herbe comme les jardiniers expérimentés peuvent essayer différentes possibilités d’aménagement de leur terrain respectif. Et il peut décider : Son empathie s’adresse-t-elle de la même manière à tous les insectes ou nourrit-il un penchant particulier, par exemple pour les scarabées ou les papillons citrons ?
Alexandra Daisy Ginsberg croit fermement “qu’en plantant de l’art plutôt qu’en le regardant simplement, nous établissons une relation de soin avec lui. (…) Ainsi, nous ne nous contentons pas de représenter la nature, mais nous la percevons nous-mêmes comme un art”. Ce faisant, la Britannique voit les choses en grand : “En unissant nos forces, Pollinator Pathmaker peut devenir la plus grande œuvre d’art climatiquement positive du monde”.
Bettina Kames, directrice du LAS, considère le projet participatif Pollinator Pathmaker comme une sculpture sociale. Il s’agit selon elle d’une innovation radicale, car elle modifie la compréhension de ce qu’est une œuvre d’art et à qui elle s’adresse : “Pollinator Pathmaker contribue ainsi de manière particulière aux débats dont nous avons un besoin urgent sur le changement climatique, la crise environnementale, l’anthropocentrisme sous-jacent et la santé de notre planète – et nous donne un outil simple pour apporter notre contribution”.
Prix S+T+ARTS 2023 - Grand Prix de la Commission européenne
Juste à temps pour l’ouverture de l’exposition, Ginsberg a reçu la nouvelle qu’elle recevait le prix S+T+ARTS 2023 – “Grand Prix de la Commission européenne, honorant l’innovation dans la technologie, l’industrie et la société stimulée par les arts 2023”. S+T+ARTS (Science, Technology and the Arts) est une initiative soutenue par la Commission européenne depuis 2016, qui se concentre sur des projets qui tentent de relever les défis sociaux, environnementaux et économiques auxquels l’Europe est confrontée ou le sera dans un avenir proche.
Sur le thème des plantes : Du 05.05. au 22.10., l’exposition “Parlement des plantes II” ouvre ses portes au Kunstmuseum Liechtenstein. Lisez ici pourquoi une visite vaut la peine.