09.03.2025

Portraits

Pascal Koertel – Lauréat du prix de promotion culturelle Straubing 2023

Pascal Koertel : We did it for our god : The sun, 2023. photo : Pascal Koertel

Pascal Koertel : We did it for our god : The sun, 2023. photo : Pascal Koertel

Depuis 2020,Pascal Koertel étudie la peinture et le graphisme à l’Akademie für Bildende Künste dans la classe du professeur Gregor Hildebrandt. Il est l’un des deux lauréats du prix de promotion culturelle de Straubing, décerné par la fondation Dr. Franz et Astrid Ritter pour les arts visuels. Restauro l’a rencontré pour une interview.

L'artiste Pascal Koertel. Photo : Sandro Prodanovic
L'artiste Pascal Koertel. Photo : Sandro Prodanovic

JMK : Félicitations pour le prix culturel de Straubing ! Le prix de 3.000 € a-t-il déjà été dépensé ?

PK : Merci beaucoup ! L’argent n’est pas encore dépensé, mais il est prévu. J’aimerais l’utiliser pour produire une série de trois œuvres que je voudrais peindre exclusivement avec du lapis-lazuli. Je veux simplement expérimenter avec ce matériau fantastique.

J’ai découvert que je trouve les formes et les ombres bien plus passionnantes que les motifs concrètement élaborés. Les shootings photo de haute couture et de haute couture m’offrent une orientation importante, car je trouve les silhouettes particulièrement captivantes dans ces shootings. J’aimerais également réaliser ces travaux en grand format.

JMK : Il s’agit donc d’un investissement tout à fait raisonnable dans des œuvres futures et non dans la haute couture par exemple ?

PK : Non, je réinvestis toujours.

JMK : Tu l’as déjà mentionné : tu utilises souvent des matériaux coûteux comme le lapis-lazuli et tu fabriques toi-même tes couleurs à partir des pigments. Pourquoi fais-tu un tel effort et n’achètes-tu pas simplement des couleurs en tubes prêtes à l’emploi ?

PK : Il y a deux raisons à cela : D’une part, je veux rendre hommage aux anciens maîtres, d’autre part, j’ai bien utilisé de la peinture en tube au début de mes études, mais je n’ai jamais été satisfait du résultat. A l’Académie de Munich, je suis alors allée voir le Dr Kathrin Kinseher, responsable de l’atelier d’étude de la technique picturale, et je lui ai dit que les couleurs n’avaient pas la brillance que je souhaitais. Les couleurs semblaient toujours un peu “sales”. Elle m’a alors expliqué que les pigments des couleurs en tube ne sont parfois pas compatibles entre eux. Le blanc de titane en est un bon exemple, il y a souvent d’autres substances dedans. Or, je souhaite obtenir le blanc de titane pur. Je le fais donc moi-même pour avoir le pigment pur. Pour moi, les substances ajoutées modifient toujours la couleur, ce qui me frappe et me dérange.


"Je suis un fétichiste du matériel !"

JMK : Tu fabriques aussi tes toiles toi-même, c’est-à-dire que tu les tends toi-même sur un châssis. C’est aussi très coûteux, tu pourrais aussi les acheter.

PK : Je suis un fétichiste des matériaux. Les toiles préfabriquées n’ont pas la qualité de tissu que je souhaite. J’utilise un tissu spécial de France, particulièrement fin mais très épais. Pour moi, c’est également très important pour les vêtements, j’aime beaucoup les tissus plus solides et plus épais, et c’est là que la mode et l’art se rejoignent dans mon travail. Le toucher des toiles est tout simplement important pour moi ; elles doivent être agréables au toucher.

JMK : Tu mentionnes maintenant le toucher, on sait en fait que dans les musées, il ne faut pas toucher les œuvres d’art. Peut-on voir ou reconnaître le toucher particulier ou la structure de la toile en tant que spectateur ?

PK : J’invite toujours les gens à toucher l’œuvre s’ils s’intéressent à ma façon de travailler. Dans mon art, je travaille aussi beaucoup avec du cuivre ou de la porcelaine comme matériau de support et j’ai développé un procédé qui rend la porcelaine moins cassante. Je trouve alors très important que les gens puissent la toucher, car ils sont généralement surpris de la sensation qu’elle procure. Je suis moi-même une personne très tactile et j’aime toucher les tissus pour les vêtements ou même lorsque j’achète le tissu pour les toiles. Je suis toujours très tactile.

JMK : Je comprends tout à fait, on remarque aussi les qualités des tissus : la soie n’est pas la même que la soie et le coton n’est pas le même que le coton.

PK : Exactement, et je recouvre généralement mes travaux d’une résine ou d’un vernis. Ce n’est donc pas si grave si on le touche sur le côté. Lors de mon exposition à Straubing, j’ai par exemple accroché deux œuvres réalisées avec des matériaux organiques qui ne sécheront jamais. J’y ai versé une couche très épaisse de résine époxy, ce qui donne un toucher très cool. Les gens s’approchent toujours très près et si je remarque qu’ils veulent toucher, je vais les voir et je leur dis qu’ils peuvent le faire. Pour moi, cela fait partie du jeu. Avec mon art, je veux utiliser différents sens, c’est pourquoi je fais souvent des installations musicales ou je joue avec les odeurs. J’attache également de l’importance à la conception de l’espace dans lequel mon art est présenté. J’y pense toujours. Par exemple, en janvier dernier, j’ai emballé avec un ami artiste, Sandro Prodanovic, une pièce entière dans 3000 lingettes désinfectantes que nous avons collées, cousues et agrafées les unes aux autres. Pour moi, il est tout simplement important que l’on puisse s’immerger dans mon art et que tous les sens soient sollicités.

JMK : C’est bien sûr aussi très excitant que tu collabores avec d’autres artistes …

PK : J’aime toujours beaucoup faire des collaborations. J’ai peut-être aussi un peu hérité cela de l’industrie de la mode. C’est tout simplement passionnant de s’engager avec un autre artiste et d’avoir ensuite un échange non seulement verbal, mais aussi dans le processus de travail.

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Pascal Koertel : We Three Kings (le visiteur qui reste un jour), 2023. photo : Pascal Koertel
Pascal Koertel : What did you put in the tatar sauce, 2023. photo : Pascal Koertel
Pascal Koertel : What did you put in the tatar sauce, 2023. photo : Pascal Koertel

"Occupez-vous du matériel !"

JMK : Comment dois-je m’imaginer le processus de travail chez toi ? Tu viens de dire que tu recouvres les toiles toi-même, tu fais les couleurs …

PK : En fait, je fais tout moi-même, je n’achète pratiquement rien de fini. Je suis tellement obsédé par les matériaux que je veux toujours savoir de quoi quelque chose est fait. C’est aussi un conseil que je donne aux étudiants de première année : Occupez-vous du matériel ! Quand on sait ce que l’on peut faire avec tel ou tel matériau, on travaille aussi très différemment.

JMK : Et comment cela se passe-t-il ensuite ? Est-ce que tu prépares les matériaux et la toile, puis tu fais des études préliminaires ? Ou est-ce que tu peins directement sur la toile ?

PK : C’est très variable. Parfois, cela commence par une étude, mais elle peut me plaire tellement que je m’en tiens là. Mais cette étude peut quand même servir à faire une peinture. Je me consacre certes très précisément au support, mais je fais en fait très rarement des esquisses préliminaires. Je peins très souvent à main levée, car les esquisses me donnent souvent l’impression d’être à l’étroit. Je ne fais pas non plus de grille sur la toile.

JMK : J’ai lu récemment un article sur un peintre dont la toile a été examinée de près aux rayons X. Il s’agissait d’un tableau de la série des “Peintres de l’ombre”. On a constaté qu’il avait encore apporté des modifications au cours du processus de création. Pourrait-on trouver quelque chose de semblable chez toi ?

PK : Je fais aussi une certaine esquisse préliminaire, dans le but de l’utiliser dans l’œuvre pour rendre le support un peu plus sale. Je fais généralement l’esquisse avec du graphite ou du fusain que je fabrique moi-même. Pour cela, je brûle du bois de saule. J’étale et dilue ensuite ce pigment noir avec de l’huile directement sur la toile. En combinaison avec les couleurs vives que j’applique ensuite, j’obtiens un tout autre effet.


Inspiration de l'art et de la mode

JMK : D’où te viennent tes idées ?

PK : Je trouve souvent des motifs en me promenant. Je vois alors peut-être un relief ou une fenêtre qui me plaît beaucoup. Je m’en inspire alors. Mais aussi des histoires que les gens me racontent.

JMK : Y a-t-il aussi des artistes qui t’influencent ? Je sais par tes travaux que le motif du cheval bleu revient souvent. Nous sommes assis ici à Munich, alors je pense très vite à Franz Marc et à ses chevaux bleus …

PK : Franz Marc est lié au fait qu’autrefois, j’allais très souvent dans les musées de Munich avec ma grand-mère et ma maman, et le Lenbachhaus en faisait souvent partie. J’avais le “Cheval bleu I” en affiche au-dessus de mon lit. Cela m’a bien sûr laissé une impression durable. Sinon, j’aime bien le travail de Basquiat, on le voit aussi dans mes tableaux. J’ai encore quelques artistes préférés, dont la plupart ne sont plus en vie, mais qui n’ont en général aucune influence sur mon travail. Il y a par exemple Francis Bacon ou Louise Bourgeois. Je ne suis pas un artiste installateur, je fais actuellement de la peinture à plat. Mais je trouve les cages et les espaces très passionnants, le côté sombre et abstrait m’intéresse aussi. Je m’inspire de ce que j’y trouve et je le transpose dans mes œuvres.

JMK : On le voit bien dans tes œuvres. Ce sont des motifs tout à fait sombres, comme par exemple des têtes de mort.

PK : Les motifs de vanité font en tout cas partie de mes œuvres. Mais il y a aussi des pensées dépressives. Pendant un certain temps, j’ai travaillé avec des patients borderline , ce qui a donné lieu à des œuvres très sombres. Mais cela me pesait trop à la longue, c’est pourquoi je n’ai pas poursuivi dans cette voie.

JMK : Tu as aussi dit que tu t’orientais vers les anciens maîtres, du moins dans le processus de fabrication des matériaux.

PK : Là, je suis un peu en conflit entre-temps. Avant, j’aimais beaucoup visiter les musées comme le Louvre ou l’Alte Pinakothek ici à Munich, mais actuellement, je ne peux plus voir les œuvres qui y sont exposées de la même manière. Je m’en suis en quelque sorte “lassé”. Mais leur artisanat m’impressionne. Ils faisaient tout eux-mêmes, parce que la peinture en tube, par exemple, n’existait pas encore. Je trouve ce dévouement impressionnant. Aujourd’hui, de nombreux artistes ne font plus cet effort. Mais une fois que l’on commence à fabriquer soi-même les matériaux, on ne veut plus utiliser autre chose.

JMK : Sur quoi travailles-tu en ce moment, qu’est-ce qui te préoccupe ?

PK : En ce moment, je prépare une exposition à Paris, dans le Marais. Cela me fait très plaisir, car j’aime beaucoup ce quartier de Paris, il fait partie de mes quartiers préférés. Le prochain travail de peinture sera mon hommage à la haute couture, dont nous avons parlé au début. Je m’inspire en particulier du créateur Martin Margiela. Je trouve ses créations déconstruites très intéressantes. Les formes extravagantes qu’il a créées m’influencent. Jouer avec les formes m’intéresse particulièrement, car cela permet aux spectateurs de développer leurs propres histoires sur l’œuvre. C’était également important pour moi dans l’exposition de Straubing, d’où le titre “Somewhere between them and us”. Je suis fascinée par l’espace qui s’ouvre entre l’œuvre d’art et les spectateurs, car il est d’abord vide. En tant que spectatrice, tu peux alors le remplir avec tes émotions, tes perceptions, tes souvenirs et peut-être même rêver. C’est ce qui m’arrive avec les œuvres de Chagall, elles m’attirent toujours. Certaines choses de lui résonnent aussi dans mon art.

JMK : Quelles sont tes prochaines expositions ? Où puis-je encore te voir, à part à Straubing et à Paris ?

PK : Il y aura probablement encore une exposition à Milan, et en mai, nous avons encore une exposition de classe de l’Académie des beaux-arts ici à Munich.

JMK : Question finale : as-tu un conseil d’exposition ?

PK : L’exposition Kafka à la Villa Stuck, sans aucun doute. Elle ne dure plus très longtemps, mais elle est très bien. Ensuite, j’aimerais voir l’exposition Mark Rothko à Paris, à la Fondation Louis Vuitton. À la Tate de Londres, l’exposition expressionniste avec les prêts de la Lenbachhaus et puis à Munich, à la Kunsthalle, l’exposition sur les designers Viktor & Rolf. Il y a aussi beaucoup d’autres choses, j’en ai toute une liste.

Pascal Koertel : We did it for our god : The sun, 2023. photo : Pascal Koertel
Pascal Koertel : We did it for our god : The sun, 2023. photo : Pascal Koertel
Pascal Koertel : Mr. Gorbatchev tear down this wall, 2023. photo : Pascal Koertel
Pascal Koertel : Mr. Gorbatchev tear down this wall, 2023. photo : Pascal Koertel

Expositions (sélection)

2024

“Somewhere Between Them And Us” (Straubing)

2023

“MEIN TRÜBES WASSER WURDE KLAR” (Berlin)

“daslebendegefühl” (Munich)

“Getreidegasse 24” (Salzbourg)

2022

“MINDS ARE MAGNETS” (New York)

Pascal Koertel : What's for dinner ?, 2023. photo : Pascal Koertel
Pascal Koertel : What's for dinner ?, 2023. photo : Pascal Koertel
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