"D'ailleurs, je suis sur le chantier en ce moment"
Alors que la plupart des personnes attachées à leur bureau sont actuellement chez elles, dans leur home office, le travail sur le chantier se poursuit comme toujours. Notre auteur Mark Kammerbauer réfléchit à l’extraordinaire et à l’évident, à la normalité et à l’exception – et à la contribution des architectes à la gestion de la crise.
La crise est là, nous la vivons tous et sommes touchés par elle, de différentes manières. Les réactions de l’État varient d’une nation à l’autre, mais elles ont généralement en commun de restreindre les possibilités de contact physique et les voies de transmission virale dans l’espace public. C’est ce que l’on désigne généralement par le terme de “social distancing”. Ce qui a incité de nombreux scientifiques de mon environnement social médiatique à faire remarquer qu’il s’agissait plutôt d’un “Spatial Distancing”. Il s’agit donc d’un désengagement spatial, car les contacts sociaux restent possibles. Cette constatation est d’autant plus valable lorsque l’on travaille en home office dans des conditions proches de la quarantaine. Ce n’est pas pour rien que certains logiciels de téléconférence connaissent en ce moment leur quart d’heure de gloire.
En fait, cette période risque de durer encore un peu plus de 15 minutes. Ce qui est d’ores et déjà clair, c’est que le lockdown met un terme à de nombreux secteurs économiques et les oblige à prendre des mesures d’adaptation. Les restaurants préparent des repas à emporter. Les compagnies aériennes reçoivent des aides de l’État. Les créatifs sont et resteront créatifs et recevront également, espérons-le, des aides si nécessaire. Mais qu’en est-il des chantiers ? Ils constituent une scène essentielle du travail des architectes. Les discussions avec les architectes de mon cercle d’amis personnels me font prendre conscience de la situation : Sur le chantier, pendant la crise, c’est avant la crise ou, peut-être, après la crise. En d’autres termes, il ne semble pas y avoir de verrouillage sur le chantier.
Cette constatation m’est venue en passant, car on n’appelle pas ses amis pour leur demander : “Tu vas aussi sur ton chantier ?” On aimerait plutôt savoir s’ils sont en bonne santé. Puis vient brusquement, au détour d’une phrase, “Je suis d’ailleurs sur le chantier”. Cette phrase secondaire révèle que ce qui va de soi, eh bien, est pris pour acquis. Dans la situation actuelle, l’évidence est pourtant l’extraordinaire, et c’est tout à fait remarquable. Ou encore, dans une autre conversation téléphonique : “Nous recevons actuellement de nombreuses demandes de changement d’utilisation”. On peut imaginer ce que cela signifie : les locataires actuels ne pourront probablement pas passer la crise dans les locaux qu’ils louent actuellement. Ce qui renvoie à un ensemble plus large de circonstances sociales, économiques et surtout politiques de la crise du Covid-19.
Les disques de death metal aident, mais la vie continue.
Combien de temps le chantier va-t-il continuer ? Un regard sur l’Autriche est ici révélateur. Ce n’est que récemment que les partenaires sociaux de la construction sont parvenus à un accord sur un catalogue de huit points concernant des mesures de protection renforcées pour tous les participants aux chantiers. Le syndicat avait demandé l’arrêt des chantiers en raison de l’absence de directives sur la manière de gérer la pandémie de Covid-19. Parmi les mesures adoptées figurent une hygiène du travail renforcée, des mesures organisationnelles ou une protection lors d’activités nécessitant des distances inférieures à un mètre. Les partenaires sociaux autrichiens sont une association de différents représentants d’intérêts, dont le syndicat et la chambre de commerce, comparable au partenariat social allemand et aux parties à la convention collective.
Dans ses propres murs, le Dahoam-Office est actuellement la partie centrale d’un sandwich de chantier : dans la cave, les murs en béton sont sciés avec zèle pour créer de nouveaux passages ; la buanderie qui se trouvait jusqu’à présent dans les combles s’y déplace, au profit de nouveaux appartements tout en haut. Mes vieux disques de death metal m’aident à lutter contre le bruit. Et comme le disait autrefois Entombed : “but life goes on”. Si le lockdown est donc la normalité et le chantier l’exception, les architectes peuvent au moins se targuer d’apporter leur contribution à la résolution de la crise – sans pathos. Et sur le même ton, à tous les acteurs du secteur de la construction : maîtrisez la crise, restez en bonne santé.