26.03.2025

Society

De la mobilité forcée, de la liberté de mouvement et du tournant dans les campagnes

Déplacer pour améliorer
Découvrez la situation actuelle de la mobilité, les chantiers en cours et ce à quoi l'avenir peut - ou doit - ressembler dans notre article sur le thème de la mobilité du futur. Photo : Mika Baumeister via Unsplash

Découvrez la situation actuelle de la mobilité, les chantiers en cours et ce à quoi l'avenir peut - ou doit - ressembler dans notre article sur le thème de la mobilité du futur. Photo : Mika Baumeister via Unsplash

Le débat sur la réorientation des transports est sur toutes les lèvres. Le bruit, la pollution de l’air et la concurrence pour l’espace ne peuvent plus être ignorés, en particulier dans les villes. Parallèlement, la densité de voitures en Allemagne n’a cessé d’augmenter au cours des dix dernières années, selon l’Office fédéral des statistiques.

Plus d’un quart des ménages de la République fédérale possède même deux voitures. En outre, il n’existe guère d’alternatives viables, surtout dans les zones rurales. Comment réussir malgré tout à changer les mentalités et à quelles tendances faut-il s’attendre pour la mobilité du futur ? Tentative de réponse.

“La société est basée sur la mobilité”. C’est la déclaration faite par Katharina Manderscheid, sociologue de la mobilité et professeur à l’université de Hambourg, dans une interview accordée au Redaktionsnetzwerk Deutschland fin 2022. Elle souligne ainsi la pertinence de la mobilité d’un point de vue social. La société actuelle est différenciée, chaque individu change plusieurs fois par jour d’espace social. Dans ce contexte, le trafic et les distances parcourues ne cessent d’augmenter depuis des décennies.

Dans son rapport “Energy Technology Perspectives” de 2020, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit environ un doublement du trafic mondial – mesuré en personnes-kilomètres – d’ici 2070. L’agence part également du principe que le nombre de propriétaires de voitures* augmentera de 60 pour cent et que la demande de vols de passagers et de fret triplera durant cette période. Cela s’accompagnera inévitablement d’une nouvelle augmentation des émissions de gaz à effet de serre dues au trafic.

Selon l’Agence fédérale de l’environnement, la République fédérale d’Allemagne émettra environ 746 millions de tonnes de gaz à effet de serre en 2022. Le secteur des transports est à lui seul responsable d’émissions d’environ 148 millions de tonnes d’équivalent CO2. La mobilité et la liberté individuelles augmentent. Mais l’environnement en souffre.

Dans les zones rurales, la voiture privée reste souvent le seul moyen de se déplacer de manière indépendante. Photo : Malek Boukhris via Unsplash
Dans les zones rurales, la voiture privée reste souvent le seul moyen de se déplacer de manière indépendante. Photo : Malek Boukhris via Unsplash

Mobilité forcée plutôt que libre ?

L’Agence fédérale allemande pour l’environnement identifie ce conflit, entre autres, dans un guide intitulé “Nachhaltiger Stadtverkehr 2050 : Metaanalyse, Maßnahmen und Strategien” (Transports urbains durables 2050 : méta-analyse, mesures et stratégies), publié au début de cette année. La mobilité est une condition préalable à la participation à la vie sociale. Katharina Manderscheid confirme également cette appréciation par ses recherches. Ce faisant, elle ne parle plus seulement de liberté, mais aussi de contrainte à la mobilité dans la société actuelle.

Elle cite l’exemple de la hausse des loyers dans les grandes villes. Les personnes concernées, qui ne peuvent plus se permettre de payer ces prix, déménagent en banlieue ou dans les environs et parcourent désormais de plus longues distances pour se rendre au travail. Alors que les moyens de transport alternatifs sont développés dans les centres urbains, de nombreuses études montrent que la situation à la campagne est déficitaire. La voiture privée y est encore souvent la seule possibilité de se déplacer de manière indépendante.


Satisfaits à la campagne

En 2018, l’ADAC a mené une enquête représentative sur la mobilité dans les zones rurales. 3 400 habitants* de douze Länder ont été interrogés sur leurs habitudes quotidiennes et leur utilisation des transports. Il en est ressorti que la majorité des personnes interrogées étaient satisfaites de leur propre mobilité. Une conclusion surprenante au premier abord. Ce résultat positif se révèle toutefois indifférencié au second coup d’œil. En effet, la satisfaction se référait uniquement à la mobilité avec sa propre voiture. Sept personnes sur dix ont indiqué qu’elles se déplaçaient souvent ou régulièrement en voiture. En revanche, la satisfaction était négative en ce qui concerne les transports en commun. Plus de la moitié des personnes interrogées n’utilisaient presque jamais le train régional ou le bus. Les raisons invoquées par les personnes interrogées sont le manque de liaisons directes, les grandes lacunes dans les horaires et la durée trop longue du voyage. Des chiffres dramatiques confirment cette appréciation. Depuis 1990, par exemple, un cinquième du réseau ferroviaire allemand a été fermé.

Comme le montrent les statistiques, les voitures privées stationnent en moyenne plus de 23 heures par jour en Allemagne. Photo : Gunnar Ridderström via Unsplash
Comme le montrent les statistiques, les voitures privées stationnent en moyenne plus de 23 heures par jour en Allemagne. Photo : Gunnar Ridderström via Unsplash

Comment l'environnement et la santé en pâtissent

L’étude montre comment la qualité de vie de certains groupes de personnes est fortement liée à la possibilité d’une mobilité libre et individuelle. Parallèlement, un volume de trafic élevé minimise la qualité de vie d’autres individus. La pollution de l’air et le bruit, par exemple, résultent inévitablement de l’augmentation de la mobilité. Et elles entraînent des dommages pour la santé des riverains*. Par exemple, une exposition permanente aux particules fines dues au trafic routier entraîne un risque accru d’allergie et d’asthme. Le bruit des voitures a également un impact sur la santé. Le groupe de travail sur le bruit de la Société allemande d’acoustique désigne même le bruit du trafic routier comme “la source de bruit la plus importante en République fédérale d’Allemagne”. Les conséquences peuvent être des maladies circulatoires, des attaques cérébrales et des infarctus du myocarde.

Outre les émissions, la consommation d’espace constitue le plus grand problème du trafic individuel mobile. Les routes à plusieurs voies pour les voitures ne sont pas les seules à couper le plan de la ville en de nombreux endroits. Ce sont surtout les voitures à l’arrêt qui occupent de l’espace, lequel n’est pas suffisamment disponible dans la ville dense. Les statistiques montrent qu’en Allemagne, une voiture privée reste garée en moyenne plus de 23 heures. D’autres alternatives de transport occupent également de l’espace, mais dans une moindre mesure. Alors qu’un vélo stationné occupe à peine 1,2 mètre carré, une automobile garée en occupe 13,5. Cette problématique est moins perceptible dans les zones rurales, mais elle pèse considérablement sur les agglomérations urbaines.


Il est temps de prendre un tournant - mais lequel ?

Pour garantir à l’avenir à la fois la liberté de mouvement et un environnement vivable pour tous, de nouvelles solutions sont nécessaires. La sociologue de la mobilité Katharina Manderscheid fait la distinction entre le tournant du transport, le tournant de la propulsion et le tournant de la mobilité. Dans le débat public, de grands espoirs sont actuellement placés dans un tournant de la propulsion. Celle-ci désigne le maintien de l’utilisation individuelle de la voiture telle qu’elle existe aujourd’hui. Seule la propulsion est remplacée, par exemple par un moteur électrique. Cette solution occulte toutefois de nombreux problèmes, explique Manderscheid. Le bilan environnemental de l’électromobilité est par exemple controversé. L’extraction du lithium est souvent difficile à déclarer sur place comme étant respectueuse de l’environnement et responsable.

Outre le bilan écologique douteux, l’augmentation du nombre de voitures électriques sur les routes ne résout pas non plus le problème de l’espace. Un véritable tournant dans les transports pourrait y remédier. Ce terme désigne le transfert du trafic de l’automobile vers d’autres moyens de transport. Il va de pair avec un changement de mentalité en matière de mobilité. La mobilité devrait être réorganisée et les déplacements rendus plus attrayants. Il s’agit également de remettre en question le statu quo et les contraintes existantes en matière de mobilité. Les villes et les communes, les administrations publiques et les entreprises privées, ainsi que les particuliers, doivent y participer. Les champs d’action et les approches sont divers.

Parmi les mesures visant à atteindre les objectifs de l'Allemagne en matière de protection du climat et de développement durable figure le développement des infrastructures cyclables. Photo : Alexa via Pixabay
Parmi les mesures visant à atteindre les objectifs de l'Allemagne en matière de protection du climat et de développement durable figure le développement des infrastructures cyclables. Photo : Alexa via Pixabay

Des mesures pour la ville de demain

L’Agence fédérale allemande de l’environnement a publié dès 2017 une brochure intitulée “Die Stadt für Morgen”. Le département des transports, du bruit et du développement territorial y désigne les défis, mais aussi les mesures à prendre pour atteindre les objectifs de protection du climat et de durabilité de l’Allemagne et de l’Union européenne. Huit thèmes généraux ont été identifiés. Ceux-ci sont regroupés en différents ensembles thématiques.

Les champs d’action “Conditions générales de la société” et “Évolutions sociodémographiques” ont par exemple une influence essentielle sur la mobilité, mais sont en même temps plus difficiles à gérer et sont traités de manière subordonnée. En revanche, il existe des champs d’action qui peuvent être influencés positivement par des mesures. Le module “Conditions cadres politiques et juridiques” propose par exemple la mise en place de limitations de vitesse et d’accès. Sous l’aspect “Développements technologiques”, l’utilisation de flottes de véhicules électriques ou à faibles émissions est suggérée. Le thème “Conditions-cadres et instruments économiques” demande des incitations ou des dissuasions financières, comme par exemple le prélèvement de contributions pour l’utilisation des infrastructures.

Le thème “Infrastructure et offre de transport” prévoit la planification, la mise à disposition et l’intégration d’offres et d’infrastructures de transport durables dans la ville. Le développement des infrastructures cyclables et piétonnes et des transports publics, la création d’offres de covoiturage ou le développement de plateformes de mobilité multimodale doivent permettre de remédier à cette situation, selon l’Agence fédérale de l’environnement. Enfin, le champ d’action “Structure et développement de l’habitat ainsi que planification urbaine et régionale” montre des marges de manœuvre au niveau régional et urbain. Le développement fondamental de quartiers résidentiels pauvres ou sans voitures, l’intégration de la planification environnementale et la création de zones commerciales durables et intercommunales sont des mesures exemplaires.


La carotte et le bâton

De manière générale, l’Agence fédérale de l’environnement se prononce également en faveur d’une promotion accrue des projets pilotes et des technologies innovantes. Dans les différents thèmes, une distinction est faite entre les mesures dites “push” et les mesures dites “pull”. Alors que les mesures push, telles que les limitations de vitesse, réduisent l’attractivité des moyens de transport moins durables, les mesures pull, telles qu’une infrastructure cyclable adaptée aux besoins, augmentent l’attractivité des alternatives durables. Cette combinaison de la carotte et du bâton est considérée par les auteurs* comme particulièrement efficace en vue d’une transition réussie vers les transports.

Le vélo est un moyen de transport important à Copenhague, la capitale du Danemark, où l'on a investi très tôt dans les infrastructures cyclables. Le Cykelslangen du bureau Dissing+Weitiling, un pont sur le bassin portuaire réservé aux cyclistes, est bien connu. Photo : Steinar Engeland via Unsplash
Le vélo est un moyen de transport important à Copenhague, la capitale du Danemark, où l'on a investi très tôt dans les infrastructures cyclables. Le Cykelslangen du bureau Dissing+Weitiling, un pont sur le bassin portuaire réservé aux cyclistes, est bien connu. Photo : Steinar Engeland via Unsplash

Barcelone et Copenhague, des pionnières

Des modèles de ce type sont désormais observés dans de nombreuses villes. Barcelone en est un exemple célèbre. Dans la capitale catalane, les voitures sont interdites dans certains super-quartiers. En même temps, la ville y développe des espaces verts attrayants pour le voisinage. Outre l’interdiction, la population bénéficie ainsi d’une nette revalorisation de son espace de vie au quotidien. En conséquence, la population réagit aux superblocs non seulement par la critique, mais aussi par la compréhension qui naît des expériences positives dans l’espace public.

Copenhague, la capitale du Danemark, est une autre ville modèle connue en matière de mobilité durable. Depuis les années 70, des investissements intensifs ont été réalisés dans l’infrastructure cyclable. De larges pistes cyclables ont été aménagées sur toutes les routes principales de Copenhague. De plus, des pistes cyclables rapides mènent des banlieues au centre-ville, sur lesquelles les cyclistes* ne doivent que rarement s’arrêter aux feux rouges. En revanche, il y a par endroits des rues à une seule voie de circulation pour les voitures et peu de places de parking, mais elles sont chères. Les mesures “push” et “pull” s’y imbriquent judicieusement. Et elles montrent comment le passage d’une ville centrée sur la voiture à une métropole plus durable et plus agréable à vivre peut réussir.


L'avenir est au partage

Le Zukunftstinstitut de Francfort voit une étape importante dans la concession de l’espace aux moyens de transport alternatifs. Il prévoit pour l’avenir la propagation de rues partagées, dans lesquelles la séparation des voitures, des piétons et des cyclistes est abolie. Au lieu de rues séparées, des espaces publics pourraient voir le jour, réunissant les déplacements et les activités sociales, créant ainsi une image de rue commune et vivante.

Non seulement les rues partagées, mais aussi les offres de partage gagnent du terrain en de nombreux endroits. Des voitures aux vélos-cargos, des cyclomoteurs aux scooters, il n’existe pratiquement plus de moyens de transport, surtout dans les centres urbains, qui ne puissent pas être utilisés par le biais de systèmes de location et de partage. En revanche, si l’on se déplace en périphérie des villes ou dans les régions rurales, cette disponibilité diminue drastiquement.

Une vaste prairie verte, une forêt en arrière-plan, un train qui passe devant la forêt à droite, un bâtiment avec plusieurs cheminées d'où s'échappe de la vapeur en arrière-plan à gauche. Afin d'assurer une bonne mobilité dans les zones rurales, l'association des entreprises de transport allemandes se prononce en faveur d'un système global de train-bus couvrant l'ensemble du territoire et fonctionnant au moins toutes les heures. Photo : Robert Wiedemann via Unsplash
Une vaste prairie verte, une forêt en arrière-plan, un train qui passe devant la forêt à droite, un bâtiment avec plusieurs cheminées d'où s'échappe de la vapeur en arrière-plan à gauche. Afin d'assurer une bonne mobilité dans les zones rurales, l'association des entreprises de transport allemandes se prononce en faveur d'un système global de train-bus couvrant l'ensemble du territoire et fonctionnant au moins toutes les heures. Photo : Robert Wiedemann via Unsplash

L'avenir de la mobilité en milieu rural

Les offres de partage ne sont pas les seules à y rencontrer des difficultés. De manière générale, le tournant de la mobilité à la campagne est confronté à d’autres problèmes qu’en ville. L’Association des entreprises de transport allemandes a publié un document de position intitulé “Une bonne mobilité dans les régions rurales”. Six lignes directrices y sont définies pour des offres de transport d’intérêt général.

L’association se prononce par exemple en faveur d’un système global train-bus couvrant l’ensemble du territoire et fonctionnant au moins à la cadence horaire. Le réseau de transport pourrait être complété par des offres on-deman. Les véhicules devraient alors offrir suffisamment de places assises et, par exemple, des possibilités de chargement pour les smartphones. En outre, l’utilisation de l’offre de transport public doit être aussi simple que possible. Il s’agit donc de coordonner les différents moyens de transport et de développer des systèmes tarifaires uniformes au-delà des frontières du district. La circulation automobile en dehors des métropoles se caractérise aujourd’hui par moins d’embouteillages, peu de restrictions et des places de parking gratuites en nombre suffisant. Pour inciter les gens à changer de mode de transport, il faut donc beaucoup plus d’incitations – et d’autres stratégies tarifaires – que dans les agglomérations.


Des hommes et de la technique

Le Zukunftsinstitut voit également une solution dans la numérisation et l’automatisation. Le “dernier kilomètre” pourrait être desservi par des taxis autonomes. D’une manière générale, la “ville autonome” recèle encore un grand potentiel. L’institut dessine ainsi la vision d’une ville sans places de stationnement, dans laquelle les véhicules autonomes seraient en permanence en service et ne devraient s’arrêter que pour recharger leurs batteries.

Outre les possibilités techniques, le changement de mode de transport dépend toutefois aussi de l’acceptation sociale des utilisateurs*. Parastoo Jabbari et Don MacKenzie, deux chercheurs de l’Université de Washington, ont étudié en 2020 la disposition des Américains* à partager des trajets avec des personnes qu’ils ne connaissent pas. Ils voulaient déterminer dans quelle mesure la pandémie Covid-19 avait modifié l’attitude des personnes. Le résultat a toutefois montré que les personnes interrogées utilisaient de préférence des moyens de transport dans lesquels le contact avec d’autres personnes est évité, aussi bien avant qu’après la pandémie. Si le partage du trajet permettait d’économiser de l’argent, il y avait une volonté de partage avant Covid. Après la pandémie, les personnes interrogées se sont montrées fondamentalement opposées à cette idée.


Avec tous les sens

L’étude ne reflète peut-être qu’une situation locale et particulière dans le temps, mais elle soutient néanmoins ce que d’autres scientifiques* soulignent également. Le passage à d’autres moyens de transport ne peut réussir durablement que si les gens y voient une valeur ajoutée personnelle durable. Un avantage monétaire seul ou une restriction pour la protection du climat ne semblent pas suffisants.

C’est pourquoi les stratégies pour l’avenir de la mobilité doivent être pensées à tous les niveaux et conçues de manière à être attrayantes pour tous les sens. Enfin, il faut remettre en question le statu quo en tant que société. La professeure et sociologue de la mobilité Katharina Manderscheid a une impulsion mémorable à ce sujet : “S’agit-il de vivre plus haut – plus vite – plus loin ou ne sommes-nous pas à un point où nous voulons réfléchir autrement à la question d’une vie bonne ? […] C’est aussi une forme de liberté que de ne pas devoir se déplacer”.

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